Le Défenseur des droits: qui et comment défend-t-il?
9 Mai 2019Disablity/visibility: visual comparative data analysis of French and UK mass media
3 Septembre 2019Disablity/visibility: part 2
3 Septembre 2019Le Défenseur des droits: qui et comment défend-t-il?

Cet article est basé sur notre propre expérience, avec la HALDE, et ensuite - jamais concluante - avec le Défenseur des droits, ainsi que sur les résultats d'une courte enquête lancée en ligne en Avril 2019. Il ne prétend pas à être un “bilan” (si ce n’est de notre propre expérience) mais est une contribution à la dissipation du flou qui persiste quand on parle de la défense des droits des personnes handicapées en France. Qui n’a pas reçu on-line ou “in-live”, le conseil de “saisir le Défenseur”, face aux doléances de l’impossibilité de faire respecter les droits et la Loi de l’égalité des Chances de 2005 (floue en elle-même, on en convient)? La croyance en une instance indépendante (légitime, dirait-on) qui saurait prendre la défense des droits de plus vulnérables, est aussi forte que celle de la foi des temps passés en un monarque bon. Et, disons-le de suite, aussi vaine.
Une histoire emblématique
A la rentrée scolaire de 2006, T. est exclu de son école de référence et orienté dans une CLIS d’une école éloignée, privée
(sic!) ou, de surcroît, il n’y a pas de place. Une autre école privée accepte T.dans une classe "ordinaire" avec l’accompagnement d’une AVS payée à nos
frais. Cette scolarisation est une réussite: très agité dans l’école publique qui ne voulait plus de lui, T. est bien accepté
et accepte bien le cadre de cette nouvelle école. Nous gagnons le recours au Tribunal Contentieux d’Incapacité et deux ans
plus tard la HALDE, saisie au moment de l’exclusion rend sa décision : T. a subi une discrimination en raison de son handicap
de la part de l’Inspection Académique. L’inspecteur de l’époque, M. Javaudin, est muté à l’autre bout de la France et pour
cause : la décision de la HALDE ayant force juridique, cet inspecteur risquait 5 ans de prison et grosse amende. Mais
l’affaire en reste là, sans dépôt de plainte au pénal de notre part.
Néanmoins, la décision fait le tour de communauté des parents des enfants dans une situation semblable: l’exemple est pressenti pour faire jurisprudence.
Sauf que, trois ans plus tard, la HALDE n’existe plus. Dans ce qui était sans doute une des plus grandes régressions de
l’époque Sarkozy, il s’agissait, comme le notait Jean-Pierre Dubois, le président de la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et
membre du comité consultatif de la Halde, de “remplacer une instance collégiale indépendante par un contre-monarque qui ne
pourra gêner le monarque”.
Ce qui a été confirmé, à partir de 2012, à l’épreuve de la bataille qui recommence avec l’Inspection académique du Rhône,
dirigée cette fois par Jean-Louis Baglan (celui ci sera muté assez rapidement outre-mer, sans attendre les ennuis juridiques).
Car T. est à nouveau exclu - cette fois du collège de son quartier qu’il a intégré, après quelques péripéties à la sortie de
l’école primaire. La Défenseure des enfants (sous direction du Défenseur des droits) est saisie, mais se prévalant de décisions
judiciaires (lesquelles ne statuent pourtant pas sur le droit propre à T. d’être scolarisé, mais sur le désaccord parental),
clôt le dossier. Rien n’y fera : même l’interpellation du Comité de l’ONU défendant les droits de T. reste sans réaction de la
part du Défenseur : pourtant, celui-ci est bien officiellement garant de l’application de la Convention Internationale des
Droits des Personnes Handicapées. Le problème est que le Défenseur est plutôt très discret sur cette Convention. Il le reste
aussi à propos du rapport du Comité de l’ONU en Janvier 2019, suite à la visite de Mme Catalina Devandas-Aguilar : rapport
accablant pour la France, étouffé sous le silence abyssal des médias “génériques” français, que le Défenseur ne juge pas utile
de promouvoir.
Et pour cause : le rapport point l’ignorance et les violations chroniques par les institutions administratives et juridiques
françaises de la Convention qui, - on ne se fatiguera jamais de le rappeler - s’impose et prime sur la loi et le droit
nationaux en France. La situation, telle que pointée dans le rapport, et vécue individuellement, se résume de la façon
suivante: ayant signé la CIDPH, la France, à tous les niveaux du pouvoir (gouvernement, instances juridiques et administratives)
fait tout pour faire oublier cette Convention et la laisser dans l’ignorance du grand public.
Une directrice d’organisme (association) de tutelle va vous asséner, avec conviction, que la Convention ne s’applique pas en
France, qu’elle ne connaît que le Code civil, relativement aux droit des personnes sous tutelle. Une juge des enfants qui
place votre enfant handicapé dont vous refusez l’institutionnalisation, ne mentionnerait jamais la Convention dans ses attendus,
même si vous basez toute votre plaidoirie là-dessus, et la Cour d’Appel va faire de même : la réaction du président
d’audience à l’évocation de la Convention sera la même que si vous parliez des postulats évangéliques. Aucune mention n’en
sera faite dans les attendus du jugement ( en dépit de vos arguments pour qu’elle soit appliquée) et il faudrait aller
jusqu’à la Cour de Cassation ou au Conseil d’Etat pour espérer ne pas subir l’expression du mépris (verbal ou de facto) à
l’évocation de la Convention ( sans aucune garantie qu’elle soit alors respectée).
Comme le précise
le rapport du gouvernement français de Mars 2016, le Défenseur des droits a été déclaré mécanisme
garant de l’application de la Convention, prévu à l’article 33.2. On apprend du même rapport qu’il existe un Comité
interministériel du handicap (CIH), qui, depuis 2012, s’est réuni une fois par an sous la présidence du Défenseur des droits.
Sa mission est de décider “des différentes actions à réaliser au niveau national en matière de promotion des droits garantis
par la Convention.”
Que se passe-t-il en réalité?
Enquête
Nous avons réalisé une petite enquête et récolté 10 réponses, avec des questions portant sur le contexte de la saisine du
Défenseur et sur le résumé de sa réponse. Les saisines en question ont été formulées par des parents d’enfants atteints de
handicap cognitif et troubles du spectre autistique entre 2012 et Janvier 2019. Les motifs de la saisine vont des problèmes
plutôt matériels, comme le non-versement d’allocation de la rentrée scolaire, la CAF opposant une condition de présentation
de l’attestation de scolarité (condition non requise pour les enfants “normaux”) jusqu’à l’absence de toute prise en charge
d’un adolescent qui reste “à temps plein” à la maison. Dans la moitié des cas, l’instance mise en cause pour le non-respect
des droits est l’Education Nationale ou, plus, directement, l’équipe d’un établissement scolaire.
Dans seulement trois cas le Défenseur (son représentant local) est passé à l’action : en téléphonant à l’école ou en se
déplaçant directement lors d’une réunion d’équipe éducative. C’est dans ce dernier cas - unique dans notre enquête - que
l’action du Défenseur parait réellement efficace et l’orientation forcée en IME a pu être évitée au profit d’une scolarisation
en ULIS. Remarquons que le Défenseur est intervenu ici au début d’un processus qui, une fois enclenché, devient vite une
fatalité, et a accompli sa mission correctement en étant présent physiquement au moment crucial.
Dans 7 cas sur 10, le Défenseur (son représentant local) s’est déclaré incompétent, a rejeté la demande, a dit que son
intervention (auprès de l’école) risque d’aggraver la situation (sic!) ou s’est répandu en vagues déclarations’ et a “offert
un stylo avec le logo DDD. Notons également que, même s’il ne nous appartient pas de juger si ou non la compétence du Défenseur
a été réellement engagée dans tous ces cas, il ressort que l’accueil réservé par les personnes exerçant cette mission parait
globalement, et dans majorité des cas, peu avenant alors qu’il s’agit, dans la plupart des cas, de situations humaines
difficiles. Une personne rapporte avoir été “consternée par les propos sur l'autisme” du représentant local du Défenseur.
Dans 6 cas sur 10, les parents ont continué la bataille sur d’autres fronts et par d’autres moyens. Mais ceux-là sont plus
que limités en France. “Quoi faire contre l'Etat?” dit un des répondants. En effet, pas grand’chose. Les seuls cas de recours
réussis contre l’Etat Français sur le plan du handicap sont ceux donnant lieu au versement d’une somme d’argent au titre de
compensations aux “manquements”. A notre connaissance et depuis la dissolution de la HALDE, aucun recours pour la
discrimination d’une personne handicapé mentale contre l’état et ses institutions n’a porté de résultats. A titre de
comparaison, les condamnations de la compagnie Easyjet pour refus d’une personne handicapée à bord sont relayées à profusion
en saturant les trois premières pages des résultats de Google.
Le vide
Il faut se rendre à l’évidence: le DDD, dans le contexte français, se retrouve dans une position de porte-à-faux entre
l’hypocrisie des gouvernements successifs qui signent à tour de bras les Conventions et promulguent des lois, et, d’autre
part, des citoyens concernés par handicap qui ne voient rien de l’application de ces textes “sur le terrain”. Il y a aussi
cependant une troisième partie - le Comité de l’ONU. C’est certain que la France sait répondre aux interpellations de l’ONU
sur le ton “circulez, il n’y a rien à voir”; mais il est certain aussi que, même en étouffant au maximum la publicité de
telles réponses, l’accumulation des saisines et critiques de l’ONU pour le non respect des droits des personnes handicapées
rend la position du DDD encore plus vulnérable. En effet, une question légitime peut être posée: que fait-il? La réponse
serait : pas grand’chose.
Parce que pas grand’chose peut être fait par une instance non-collégiale, sans aucune autorité juridique, dont le seul outil
est “le rappel” (des termes de la Convention, des loi internes etc). Par un “contre-monarque” dont le rôle le plus évident
est de détourner les mécontentements du “monarque” et de faire croire aux uns et aux autres qu’il existe une instance qui
garantit le respect des droits. En réalité - une instance qui consolide plutôt l’atonie et indifférence générales dans
lesquelles se noient ceux qui ne sont jamais vus ni entendus : les personnes handicapées et leurs familles.
Epilogue sans fin
Après avoir subi la discrimination en répétition (réconnue par la HALDE et passée sous silence par DDD) T. subit aujourd'hui la privation arbitraire de la liberté en termes des Articles 12 et 14 de la Convention, enfermé dans un institution, pendant que gouvernement français signe des engagements de finir avec l'institualisation des personnes handicapées. Le Défenseur des droits a été saisi en Novembre 2018. 6 mois plus tard, il n'a toujours pas réagi. Toutes les tentatives de joindre la personne résponsable du dossier on échoués. Le Défenseur, il se défends.